Je vous écris, vous que je ne connais pas
“Chère madame, cet ennemi invisible qu’est le coronavirus n’en finit pas de bousculer nos vies. Jamais je n’aurai imaginé faire cela auparavant mais je le fais avec joie. ” Ainsi commence ma lettre.
Son destinataire ? Je ne connais ni son prénom, ni son nom. Je me surprends à l’imaginer. Cette résidente de maison de retraite a sûrement une famille. Malheureusement, elle ne peut plus la voir à cause des mesures de confinement. Âgée, elle a eu une vie pleine de souvenirs, de joies, de difficultés aussi qui ont forgé sa sagesse. Elle est assise sur un fauteuil informe vert foncé dans une pièce qui sent le désinfectant. Ses chaussons trainent sur un linoléum aux couleurs aussi blanchâtres que la blouse du personnel, fatigué de répéter les mêmes gestes, de redire les mêmes choses à des personnes atteintes d’alzheimer. Je me la représente en train d’ouvrir ma lettre, surprise mais heureuse. Elle découvre à son tour, avec la même curiosité que moi, cette association qui a assuré le lien entre nous: “Une lettre un sourire”.
Je l’ai connue par hasard. A la recherche d'initiative solidaire pour mon cours de radio, de clic en clic, je tombe sur un site qui retient mon attention, “Une lettre un sourire". Le principe est simple. Puisque les résidents dans les Ehpads ne peuvent plus recevoir de visites, il reste un moyen de garder un lien avec eux: leur écrire des lettres. Je contacte le site, récupère le numéro d’un des pionniers du projet dont le prénom me fait sourire: “Casimir Thierry." "C’est tout simple, m’explique-t-il au téléphone, il suffit d’écrire une lettre sur le site. Après notre équipe s’occupe de tout : on l’envoie dans un Ehpad où elle est imprimée puis distribuée". Le jeune homme se montre enthousiaste: “les lettres pleuvent de partout, même de Singapour. Tous ont la même motivation de faire plaisir et de rompre cet isolement”.
Je raccroche, pensive. “Ah la vieillesse, ce joyeux naufrage!", j’entends encore mon grand-père aux cheveux argentés, me lancer cette phrase, en frottant son dos endolori après avoir allumé le feu dans la cheminée de l’entrée. Et si je pouvais mettre un peu de joie dans la vieillesse d’une inconnue? Et si moi aussi, j’écrivais à mon tour? “L’ennui et la solitude tuent autant que le coronavirus”, m’a dit Casimir… Ma décision est prise. Je me jette sur mon lit. Je saisis mon ordinateur portable. Me voilà à mon clavier… “Chère Madame….”
Colombe
"Mon confinement est rythmé par la lecture, le dessin et les balades dans le jardin de la résidence étudiante. C'est un moment de ressourcement et de réflexion."